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Pour mes anciens collègues de Pinel

Et si je vous offrais un emploi de rêve?

Je vous offre un très bon salaire, des primes de soir, de fin de semaine, du temps supplémentaire. Je vous offre d’être payé pour jouer aux cartes, jouer au ping-pong, prendre des marches, faire quelques sorties, lire le journal.

Tentant, n’est-ce pas?

En plus, vous pourrez faire tout ça en mettant dans votre curriculum vitae que vous avez travaillé à l’Institut Philippe Pinel, comme sociothérapeute.

Quoi de mieux?

En plus, on ajoute une prime de dangerosité.

Eh oui!

L’affaire, c’est que pour jouer aux cartes avec un patient, le mieux est d’avoir un mur derrière soi, un lien de confiance, une formation en relation d’aide pour apaiser une souffrance émotionnelle et mentale, une capacité d’observation assez bonne pour voir venir les signes d’escalade et de désorganisation possible, une formation OMEGA pour bien maîtriser (sans blesser) le dit-patient de 300 lbs qui voudra bien déverser toute sa souffrance ou sa colère sur vous et votre petit corps, des paramètres physiques si possible, un esprit très ouvert pour éviter de juger monsieur qui a violé trois enfant et madame qui a tué les siens, une grande force de caractère pour faire respecter les règles d’unité mises en place pour assurer la sécurité de tous, une empathie légendaire pour voir la souffrance d’une personne qui attaque sauvagement tes collègues sans avoir de conséquence (googlez ici la différence entre une punition et une conséquence logique), un bagage d’interventions, d’outils et de connaissances pour enseigner les comportements acceptables en société et l’expression adéquate des émotions de base, puis encore bien d’autres choses que je n’énumérerai pas ici.

Donc, au final, ça fait beaucoup de qualités, aptitudes et moyens à mettre en place pour gérer ce bel hôpital et assurer un minimum de rééducation.

C’est ça le problème.

Pendant ma probation, en 2010, un certain coordonnateur m’a textuellement dit : « Les objectifs des patients, c’est pas important. » Ben coudonc. Selon lui, j’aurais dû lui demander ce qu’il voulait dire, mais bon. L’incompétence des gestionnaires en santé est un autre sujet.

Bref, j’imagine que le mot s’est passé en haut. Il paraît qu’on a besoin de plus d’infirmières et d’agents d’intervention (YÉ!) et moins de sociothérapeutes (OH!). On va donc donner la job de gens qui sont formés pour tout ce qui concerne le volet social, affectif, comportemental, émotif et rééducatif à des gens qui sont formés principalement pour le volet santé ou sécurité. Il faut croire que les objectifs des patients ne sont réellement pas importants…

Logique.

Donc, si je cite les paroles entendues lors d’une réunion, la semaine dernière :

« La première mission de l’Institut, ce n’est pas de donner des jobs à tout le monde, c’est de traiter des patients. LA PREMIÈRE MISSION DE L’INSTITUT, CE N’EST PAS DE DONNER DES JOBS À TOUT LE MONDE, C’EST DE TRAITER DES PATIENTS! On s’entend tu là-dessus? »

Si au moins c’était vrai, il y aurait matière à argumenter. À la place, on tient des humains dans un climat d’anxiété et d’incertitude depuis ce printemps, annonçant qu’il y aura des coupures, mais sans donner davantage d’informations.

Les sociothérapeutes en sauront finalement davantage ce jeudi 8 novembre.

Ces gens-là, j’ai travaillé avec eux. Ces gens-là, ils ont un cœur immense, une solidarité et un humour qui permet de rester debout et de rentrer travailler même quand ton collègue se fait presque arracher les yeux par un patient, qu’un autre se fait frapper au visage à coups de poings et à coups de pieds ou, pourquoi pas, qu’un autre se fait prendre dans une prise d’otage.

Ces gens-là, ils m’ont permis de travailler 5 ans à l’Institut malgré le manque de reconnaissance, le manque d’accomplissement professionnel, la dangerosité des patients et le climat lourd d’une psychiatrie légale.

Ces gens-là, je les aime.

Ces gens-là, ils méritent qu’on leur soit reconnaissant.

Ces gens-là, ils méritent de garder leur emploi.

Ne serait-ce que pour le bien des patients.

 

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